Introduction et présentation (du je au jeu).
( soto, 26/02/07 )

 

Humeur musicale : Sixun - alb. Lunatic Taxi - Raggalibo.

 

"Ainsi mon dessein n’est pas d’enseigner ici la méthode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison, mais seulement de faire voir en quelle sorte j’ai taché de conduire la mienne." [Descartes, Discours de la méthode].

"Avant même de prescrire, d'esquisser un futur, de dire ce qu'il faut faire, avant même d'exhorter ou seulement d'alerter, la pensée, au ras de son existence, dès sa forme la plus matinale, est en elle-même une action, un acte périlleux." [Foucault, Les mots et les choses].

"Everything said is said by an observer to another observer who can be himself or herself" [Maturana, Biology of langage].

 

 

Humour hypertextuel
Hieronymus Bosch: Le Bâteleur,1475-1480.

J'ai vu deux mystères : celui du monde et celui de l'esprit, de mon propre esprit qui envisage ces énigmes. En moi s'est progressivement ramifiée la conscience des dimensions complexes de l'intersubjectivité et de mon incarnation paradoxale en tant qu'étant à la fois corps physique et corps vécu. Ces énigmes m'ont amené très tôt à pressentir l'existence de deux styles rationnels de pensée, à la fois distincts et complémentaires, dont j'ai interrogé, grâce à la culture et à l'expérience, les possibilités de dialogue et de développement vers un "penser autrement" qui ne soit pas icônoclaste, entrainant une intense curiosité éclectique accompagnée d'un étrange mélange de fascination et de défiance pour l'abstraction.

J'ai mis l'expérience et le sens au centre de mon travail tout en me soumettant, autant que faire se peut, aux rigueurs et aux disciplines de l'apprentissage et de la formalisation, de l'objectivation et de la validation. Pour bien synthétiser, ne faut-il pas bien analyser, bien distinguer et bien peser ?!

J'ai conçu mon émancipation, ma liberté, comme passant par une prise de conscience graduelle des limites et des finitudes, produisant en retour des formes de clôtures temporaires m'aidant à apprécier non seulement la relativité des (de mes) points de vue mais aussi le paradoxe vécu de la singularité et de l'identité partagée, à me ressentir comme forme d'expression du vivant.

Comment, donc, mettre en circulation pensée de l'autonomie et de l'hétéronomie, de l'identité et de l'altérité ? Comment mettre en respiration temps diachronique du contrôle et du capital mémoriel humain collectif, de la causalité et du pro-jet, et temps quasi-synchronique de la présence de la conscience ? "L'homme sage a les pieds sur terre et la tête au ciel" nous rappel une sagesse immémoriale et immensurable.

J'ai opté pour une approche méthodologique pluraliste, non dogmatique, privilégiant l'observation et tendue par une visée d'universalité. Chaque point de vue émanant de traditions ou de disciplines avérées me semblait digne d'intérêt. Je les pensais relatives au témoignage humain d'une réalité et d'une vérité problématiques, à instruire, à comprendre et à construire. Faire science (je parle ici plutôt de sciences de la nature et de la vie), ou mieux "ars", c'est pour moi ne pas adopter de métaphysique ou d'ontologie préconçus, ou plus subtilement, tenter de déconstruire (et surtout pas détruire !) celles dont nous avons hérité culturellement et biologiquement et que nous projetons. Cela implique de savoir modestement se comprendre aussi comme vivant dans une tradition et dans un air du temps. C'est enfin constater en préalable, qu'en science, "nous n'avons pas de conception de l'inconnaissable" (Peirce), ni de l'inconnu. Un constat de positivisme nécessaire mais qui n'est plus suffisant.

Comment méthode et domaines d'objet se contraignent-ils mutuellement, se co-spécifient-ils réciproquement dans le cadre d'une connaissance, produisant en retour des domaines de validité associés à chaque modèle heuristique interprétatif ?

Je suis devenu aux cours des ans plus attentif aux implicites et aux contextes, aux logiques historiques et étymologiques. Mon attention s'est ainsi orientée vers des niveaux méta-représentationnels mais aussi post-formels, sub-linguistiques, infra-conceptuels {(doc pdf) La Réalité sans Représentation - La théorie énactive de la cognition et sa légitimité épistémologique, Thèse d'Isabelle Peschard, 2004, 3 Mo}.
J'ai designé une cartographie esquissée de cette "terrae in-cognitae" pour moi, qui est en fait un simple récit de voyage, une sorte de "chanson de geste" et que je tente de vous présenter ici. Comment dire le faire ? D'aucun y reconnaitra le vieux problème de la quadrature du cercle.

Ma culture scientifique et épistémologique (entendue ici comme à la fois histoire et théorie de la connaissance), à suivi l'heuristique d'une "ontogenèse qui résumerait la phylogenèse". L'essentiel de mon cursus d'étude a été fait dans le domaine de la biophysique, de la biologie puis des neurosciences et sciences du comportement pour se poursuivre, en grande partie en autodidacte depuis plus d'une dizaine d'années, par les sciences et technologies cognitives. En parallèle, j'ai aussi utilisé des compétences avancées en matière de programmation de simulations informatiques (processus parallèles et distribués, génético-évolutionaires, "intelligence et vie" artificielles, robotique) et j'ai exercé quelques temps comme professionnel spécialisé en "NTIC" (consultant fonctionnel multimédia). Je me suis enfin intéressé au vaste domaine des pratiques artistiques, dont celles du numériques.

Mon parcours autodidacte est un parcours de recherche, d'enquête pluri, inter et méta disciplinaire mais aussi phénoménologique.
J'ai ainsi remonté les pistes d'une théorie de l'information, des approches systémiques (fermées et ouvertes), de la première et surtout de la seconde cybernétique, de l'auto-organisation et de l'autopoièse, de la pensée complexe (voir, par exemple, la conception d'Edgar Morin et de J-L. Lemoigne) et des jeux de la récursivité et de l'auto-référentialité.
D'un point de vue paradigmatique, j'ai pu apprécier les positionnement naturalistes, fonctionnalistes et d'un constructivisme radical (au sens de Von Glasersfeld, qui ne doit surtout pas être confondu avec les versions socio-politiques ou encore artistiques du constructivisme) et leurs domaines de représentation, d'explication et de validation associés.
Quant au niveau phénoménologique, il pourrait se résumer par deux points clef :

  • Premièrement par une question méta-cognitive introspective récurrente : "Qu'est-ce que cela fait, qu'est-ce que cela im-plique que de penser en terme de...". Qu'est-ce que cela implique, par exemple, que de penser une problématique en terme de "cause" et/ou "d'effet" ou encore en terme "d'émergence" ? Une manière d'ingénierie inverse de l'esprit (mind hacking). Cette démarche psycho-phénoménologique sera synthétisée sous une forme abstraite, peut-être généralisable, intitulée "praxis et pensée² du second ordre" et liée à la perspective de la pratique d'une épistémologie dynamique et réflexive, énactive, et qui est travaillée ici spéculativement sous la forme d'une rationalité expérimentale que je nomme "Scybernéthique(s)".
  • Et deuxièmement, sous un angle que je qualifierais de "phénoménologie et épistémologie des affects" (cf., dans une direction complémentaire, le travail d'Evan Thompson) et de techno-phénoménologie (cf. la phénoménotechnique de Bachelard). Plus précisément, il s'agit de la mise en relation et en résonance analogique d'un cycle itératif de conception-réalisation-observation de simulations informatiques avec un niveau phénoménologique processuel de l'acte vécu, du geste et du ressenti intérieur des schèmes d'action, de motifs (pattern) sensori-moteurs. Mon appréhension peût être probablement mise en relation avec les concepts de schème d'action (Piaget), d'"affordance" (Gibson, 1977), de "kinesthèse" (Husserl), avec l'approche du "corps en acte" d'Alain Berthoz, ou plus banalement, du ressenti de l'écoute musicale ou de la vision d'images animées.
    Je rappel que dans le cadre du paradigme énactif la cognition peut être interprétée, entre autre, comme survenante de l'historique des couplages sensori-moteurs (un parallèle intérressant peut ici être fait avec Hegel mais aussi avec Simondon). Et c'est ainsi que j'ai été ammené ici logiquement à m'introduire par cette tournure autobiographique.

Nous verrons comment l'intégration de ces différentes approches peut nous donner des outils d'intelligibilité pour affronter deux tâches aveugles psycho-phénoménologiques majeures, à savoir le distribué et le processuel, mais aussi et corrélativement, des instruments de médiation, facilitant les dialogues inter-culturels (je pense ici particulièrement au travail de François Jullien {(web vidéo) Image ou phénomène - Forme ou transformation}. Voir historiquement, par exemple, la notion d'"intelligence amplifiée" par Ashby, Licklider puis Engelbart ou encore, dans une direction complètement différente, la communication actuelle du D@RP@ sur la "cognition augmentée" {video mp4, 95 Mo}.

Ma conception de l'intelligence a évolué d'une vision classique, mécaniste et cognitiviste (au sens de l'épistémologie des sciences cognitives : une pensée localisée et séquentielle, linéaire et mécanique), centrée sur la capacité à résoudre les problèmes et à "stocker et traiter de l'information" (jusqu'à l'"overload") vers une conception comme capacité à comprendre, créer, partager et oeuvrer un monde de signification singulier, ni solipsiste, ni vitaliste, ni non plus fondationaliste et, pourquoi pas, fraternel.

J'ai donc attaché une importance toute particulière aux notions de représentation et de modèle, de système, de concept, mais aussi de fonctions, de simulation informatique conçue notamment comme outil d'épistémologie expérimentale (McCulloch, Wiener, Maturana) et appliquée (Dupuy, Petitot). Mon approche est participative et avec l'expérience, j'ai tâché de développer mes propres outils en liaison avec leurs domaines d'utilisation.

J'ai enfin porté attention aux médiations et aux interfaces, à leurs impacts sur la structure et sur l'organisation du pensable et du communicable. Is the medium-media really the message ? (cf. McLuhan).

Comme Francisco Varela nous l'indique dans son introduction aux grandes typologies de modèles et de styles de pensée des sciences et technologies de la cognition [Invitation aux sciences cognitives, 1996, Ed. Le point sciences], et je partage avec lui cette intuition forte : "(...) à cette histoire humaine de la nature correspond une histoire des théories de la connaissance de soi".
De mon point de vue, le savoir est sans nul doute une forme référentielle régulatrice et précieuse du vivre-ensemble mais aussi le carburant d'un progrès techno-industriel cognitif devenant, je le crains, auto-destructeur par excès {site Ars Industrialis, manifeste}. Vivons-nous dans des sociétés de contrôle et d'illusion ? Sommes nous pris dans des engrenages systémiques socio-économiques auto-reproducteurs et auto-justifiants suite à leurs couplage avec le sens commun, une schismogénèse (Bateson) ?
Mais ce même savoir peux aussi et de surcroît devenir plus explicitement l'interface d'un processus pratique d'auto-transformation et d'émancipation, non-violent et laïque. Avant la reproduction n'y a-t-il pas aussi la production, avant la représentation, la présent-ation, avant le contrôle et la décision, la compréhension ?!
Sinon, qu'est-ce que la "connaissance" ??

Quel rapport le savoir scientifique entretient-il avec le sens commun, l'esprit avec le corps, les cultures et les technologies avec la nature (humaine) ?

Je pense que si la connaissance valide, la science, est socialement et préalablement une autorité légitime, elle est aussi et avant tout, psycho-(onto-épistémo)-logique pour chacun, et nous affecte (dans tous les sens du mot), nous auto-affecte (Cf. Michel Henry). Cette dimension de l'esprit doit être redécouverte à chaque génération, par chaque individu. Elle n'est pas trivialement capitalisable ou positivable puisqu'elle est fondamentalement une expérience de l'être, initiatique, une inspiration au delà d'une imitation, fragile et brillante, comme un incessant effort de lucidité et d'harmonie de la vie-en-nous et de son activité civilisatrice. Une mystagogie ?! {(web, mp3) Mystagogie(s) - De l'art contemporain, conf. Sorbonne, 01/2007 par Bernard Stiegler}, une déconstruction (Derrida) ? Une techno-philosophie dangereuse et en danger ?!

Bref, tout cela est d'une extrême complexité et plutôt que de me noyer dans des préliminaires interminables ou par trop théoriques, j'aimerais plutôt vous convier à une aventure exploratoire heuristique, ré-créative, à un jeu de psychonaute.

Le plus simple est de commencer par décrire plus pragmatiquement et sous forme schématique le rapport herméneutique et pratique que j'entretiens avec mes outils de pensée prothétiques et que j'appelle mon "dispositif expérienciel prototypique".

 

 


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